L'Expression( Algérie): LES MÉMOIRES «D'OUTRE-TOMBE» DE CHADLI BENDJEDID:La réunion des dix colonels
Afin de surmonter le climat de révolte et de confusion, et de remédier à la situation d'impasse politique au plus haut niveau du commandement, une réunion d'arbitrage a été convoquée à Tunis, à laquelle vont assister, outre les «3 B», sept colonels, à savoir: Houari Boumediene, Mohammedi Saïd, respectivement de l'état-major de l'ouest et de l'est, Hadj Lakhdar de la Wilaya I, Ali Kafi de la Wilaya II, Yazourène de la Wilaya Ill, Dehilès de la Wilaya IV et Lotfi de la Wilaya V. Ces dix colonels se trouvaient, tous sans exception, à l'époque, hors du territoire national. Les raisons principales ayant motivé cette réunion-marathon, étaient, à mon avis, au nombre de trois: la première a trait au conflit endémique opposant certaines wilayas de l'intérieur et la Base de l'Est; la seconde est relative à l'exécution des colonels de l'incident du Kef et ses conséquences néfastes sur l'esprit de combat au sein des unités; enfin, la troisième et la plus urgente, est la dissidence des unités relevant de la Base de l'Est et de la Wilaya I. Trois wilayas réclamaient un changement dans la haute hiérarchie politique à l'extérieur; il s'agit des Wilayas I, III (Amirouche) et VI, en plus de la Base de l'Est. Les Wilayas II, IV et V demandaient, elles, le maintien du commandement tel quel. Les échos qui nous parvenaient de cette réunion étaient rares, souvent contradictoires et inquiétants. Sa longue durée (plus de trois mois), l'interruption des travaux, puis leur reprise, étaient autant d'indices que les divergences entre les participants n'avaient pas pu être surmontées, et que celles-ci auguraient d'un éclatement imminent du GPRA. Les colonels sont convenus de convoquer la troisième session du CNRA à Tripoli du 16 décembre au 18 janvier. Celle-ci sortira avec des conclusions dont les conséquences positives se sont vite fait ressentir sur le terrain. On peut en citer quelques-unes parmi les plus importantes:
- Mise en place d'un état-major qui sera confié à Houari Boumediene, et qui comptera aussi Ali Mendjeli, Kaïd Ahmed et Azeddine Zerrari.
- Suppression du ministère de la Guerre, et son remplacement par un Comité interministériel de Guerre (CIG), composé de Krim, Boussouf et Bentobal. Ces deux décisions vont mettre un terme définitif aux aspirations que cultivait Krim Belkacem pour s'approprier le leadership. Sur le plan militaire, la session a recommandé, notamment, l'intensification des opérations militaires et l'accélération de l'entrée des chefs militaires dans leurs wilayas d'origine. Houari Boumediene a rejoint Ghardimaou dans des circonstances difficiles. Mais il arrivait au bon moment. Il fallait bien redresser la situation avant qu'elle ne devienne incontrôlable. Boumediene était l'homme de la situation, envoyé par la providence pour accomplir cette mission. Nous ne le connaissions pas, mais nous entendions parler de lui. Pour nous, il demeurait étranger aux problèmes des frontières est; ce qui, du reste, lui permettra d'appréhender et de traiter la situation avec lucidité et sang froid. Heureusement que nous ne savions pas encore que c'était lui qui avait présidé le tribunal ayant condamné à mort les colonels...
...Boumediene réussit à instaurer la discipline et l'ordre, et les unités étaient désormais soumises à un commandement unifié et centralisé, alors qu'elles étaient, auparavant, soumises à leurs chefs directs. Après avoir reçu, de la part du GPRA, les unités relevant des Wilayas II, III et IV immobilisées sur les frontières, Boumediene eut l'idée de «brasser» djounoud et officiers, et réussit à former une armée moderne, bien entraînée et bien équipée. Le mérite revient à Houari Boumediene d'avoir aidé à transcender les mentalités régionalistes et tribalistes qui prévalaient au sein des unités. Le brassage des djounoud et officiers et le redéploiement des unités dans de nouveaux périmètres géographiques, ont fini par démanteler ce qu'on pourrait appeler les «féodalités» et à annihiler l'esprit des «seigneurs de guerre» qui a été à l'origine de graves dissidences. Ce brassage a contribué au contact entre éléments de la Base de l'Est et les djounoud des Wilayas II, III et IV, et aidé à bannir l'idée du «wilayisme» avec ses effets néfastes sur le moral des troupes lors des combats. Cette mesure a aussi ancré dans l'esprit des combattants, l'idée qu'ils luttaient pour une cause: la libération de leur patrie