Le Centre Carter félicite la Commission de législation générale de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) pour son approche consultative concernant le projet de loi portant sur l’établissement d’une instance électorale. La Commission a pris des mesures importantes pour promouvoir la participation du public au processus, en impliquant des parties prenantes extérieures. Toutefois, malgré ces efforts, le projet de loi qui doit être examiné la semaine prochaine par l’ANC manque encore de mesures suffisantes pour garantir la transparence et l’indépendance de l’instance. Le Centre encourage l’ANC à adopter les dispositions légales nécessaires afin de garantir que les élections en Tunisie soient organisées par une instance totalement transparente et indépendante.
Le respect des standards internationaux sur la transparence implique pour l’instance de diffuser suffisamment d’informations pour permettre aux acteurs politiques et aux citoyens de vérifier par eux-mêmes et de manière indépendante l’intégrité de chaque étape du processus électoral, et en particulier le dépouillement des bulletins et l’agrégation des résultats. En permettant la vérification de chaque étape du processus, l’instance renforcera l’intégrité des élections ainsi que la confiance de l’électorat dans les résultats, et sera à l’abri de toutes ingérences extérieures.
En pratique, la transparence implique que l’instance facilite l’accès à l’information par une communication proactive, régulière et en temps utile des décisions, calendriers, procédures, activités et aspects techniques du processus électoral. L’instance devrait également consulter régulièrement les parties prenantes au processus électoral afin de promouvoir la compréhension et l’acceptation des décisions.
Dans le projet de loi actuel, ces garanties sont insuffisantes. Il y est seulement prévu que les règlements de l’instance seront publiés au journal officiel (article 19). Cette obligation ne garantit pas un accès complet et en temps utile à l’information portant sur le processus électoral. En outre, le projet de loi n’exige pas que l’instance publie les résultats détaillés des élections. Bien que les obligations internationales n’exigent pas la publication des résultats par bureau de vote, celle-ci est considérée comme une bonne pratique efficace pour permettre à un État de remplir ses obligations en matière de transparence et d’accès à l’information. Dans le cas où cette exigence ne serait pas intégrée au texte actuel, elle pourrait être incluse dans la future loi électorale. Le Centre Carter encourage l’ANC à adopter, dans la législation régissant l’établissement et les responsabilités de la future instance électorale tunisienne, des mesures de transparence fondamentales, telles que :
- La publication immédiate de toutes les décisions et règlements de l’instance sur son site web ;
- La publication, en temps utile, des résultats complets des élections sous forme désagrégée, afin de permettre une vérification adéquate de ces résultats durant la période consacrée aux plaintes et appels ;
- La tenue de sessions d’informations régulières avec les partis politiques, les candidats, les médias et les observateurs ;
L’indépendance de l’instance est essentielle pour garantir que le processus électoral soit mené de façon impartiale et soit à l’abri de toute ingérence extérieure. Elle contribue également à renforcer la confiance des électeurs et des candidats dans l’intégrité des élections. En pratique, l’indépendance requiert que les membres de l’instance bénéficient d’une protection légale, et que l’instance dispose de moyens humains, légaux et matériels suffisants pour remplir ses fonctions sans avoir à dépendre des décisions d’autres institutions. L’indépendance statutaire des membres de l’instance devrait être renforcée. D’après le projet de loi, une majorité absolue de l’Assemblée suffit à lever l’immunité d’un membre de l’instance, de même qu’à le démettre de ses fonctions (articles 14 et 15). La relative facilité avec laquelle l’immunité peut être levée fait craindre que le niveau de protection fourni aux membres de l’instance soit insuffisant. En effet, ce mécanisme peut être aisément mis en œuvre par une majorité politique. L’ANC devrait envisager d’exiger une majorité des deux-tiers pour lever l’immunité d’un membre de l’instance. L’indépendance fonctionnelle de l’instance doit également être renforcée. Le Centre Carter salue l’inclusion par la Commission de législation générale d’une disposition obligeant l’État à fournir à l’instance des moyens humains et matériels. Toutefois, les compétences du directeur exécutif restent principalement centrées sur les affaires administratives et financières, ce qui soulève des questions quant à savoir qui sera en charge des opérations électorales. Le projet de loi dispose que les services du Premier ministre « veillent à faciliter la coopération de l’ensemble des administrations publiques » avec l’instance électorale (article 22). Bien qu’une coopération interministérielle soit nécessaire, ceci ne doit pas aboutir à une subordination opérationnelle de l’instance au gouvernement. A cet égard, la loi devrait donc clarifier les prérogatives des services du Premier ministre, ainsi que les procédures de coopération vis-à-vis du directeur exécutif.
La désignation du conseil de l’instance: Le Centre Carter salue la proposition de la Commission selon laquelle les neuf membres du conseil de l’instance sont élus par l’ANC, et élisent à leur tour le président du conseil parmi eux.
Dans son article 5, le projet de loi a conservé la pratique initiée par l’ISIE en 2011 selon laquelle chaque membre de l’instance provient d’une catégorie professionnelle ou dispose d’une expertise spécifique. Dans sa forme actuelle, le processus de sélection comporte plusieurs étapes. Un comité spécial composé proportionnellement à la représentation des groupes parlementaires effectue une pré-sélection de 27 candidats à la majorité des trois-quarts. Selon l’avant projet de loi, les membres de l’Assemblée choisissent ensuite neuf noms parmi les 27 candidats pré-sélectionnés. Malgré une procédure qui peut comprendre jusqu’à trois tours de vote, rien ne garantit que les neufs sièges puissent être pourvus soit à la majorité des deux tiers requise lors des deux premiers tours de vote, soit à la majorité absolue requise lors du troisième, ce qui peut aboutir à un blocage. Le Centre Carter recommande d’inclure dans la loi une procédure de vote permettant de garantir l’élection des neuf membres sans risque de blocage. Le projet de loi devrait prévoir comment le vote est organisé en pratique. Afin de respecter la composition professionnelle prévue à l’article 5, les députés de l’ANC devront voter pour chaque siège parmi trois candidats. Le Centre Carter recommande de définir plus précisément cette procédure de vote.
Enfin, conformément aux engagements internationaux de la Tunisie au titre de la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, le projet de loi devrait prévoir des dispositions visant à renforcer la parité au sein de l’instance. Bien que la parité soit difficile à mettre en œuvre dans le cas d’une composition de l’instance définie sur la base stricte de critères professionnels, le projet de loi devrait encourager l’ANC à prendre en considération la parité lors de la pré-sélection et du vote.
Après avoir observé les élections de l'Assemblée Nationale Constituante, le Centre Carter a décidé de suivre le processus de rédaction de la Constitution et les développements liés à la mise en place des cadres institutionnel et juridique pour les élections futures. Le Centre Carter évalue ces processus par rapport aux lois nationales et aux obligations qui incombent à la Tunisie en vertu des traités internationaux auxquels le pays a adhéré, y compris, entre autres, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Communiqué