La première semaine du mois de juin, il s'entretint avec les commandants de Région un à un, dans le secret le plus total. Il leur demanda de prendre leurs dispositions en prévision d'un événement qui allait «survenir bientôt», et ce, en coordination avec le commandant Abdelkader Chabou, secrétaire général du ministère de la Défense nationale. Il y a lieu de rappeler que les commandants de Région et les unités qui ont participé à ce coup de force étaient en état d'alerte mais n'eurent vent de la nature de leur mission qu'à la dernière minute.
Au départ, il fut convenu d'arrêter Ben Bella le 17 juin à sa sortie du stade d'Oran où devait se dérouler une rencontre entre l'Algérie et le Brésil. J'ai assisté au début du match mais je ne suis pas resté jusqu'à la fin parce que j'étais chargé de la sécurité. L'idée fut abandonnée in extremis de peur que l'arrestation de Ben Bella ne provoquât des troubles parmi les supporters et se propageât dans toute la ville ou qu'elle fût prise pour un enlèvement. Ben Bella savait-il ce qui se tramait contre lui? Franchement, je ne saurais le dire. Mais j'ai senti, lorsqu'il avait atterri à Oran, qu'il m'évitait sciemment. A l'aéroport, il s'adressa à moi avec froideur, allant jusqu'à faire une entorse aux règles protocolaires. Le lendemain, le journal El Djoumhouria écrivit que «le Président a été accueilli à sa descente d'avion par un lieutenant» (j'étais alors commandant). Pour moi, le message était clair. Aussi, refusai-je de l'accompagner à Sidi Bel-Abbès; je chargeai mon ami, Abdelkader Abdellaoui, qui était chef de compagnie, de le conduire à l'aéroport et de lui dire, au cas où il demanderait après moi, que j'étais fatigué et que je m'excusais de mon absence. A Sidi Bel-Abbès, le Président prit la parole dans un meeting populaire et insista, comme à son habitude, sur la poursuite de la Révolution socialiste sous un régime et une direction communs, exprimant sa détermination à «affronter les complots qui se trament contre l'Algérie à l'intérieur comme à l'extérieur». Dans ses discours, Ben Bella recourait toujours à des expressions et des adages populaires. Je me souviens qu'il avait dit, ce jour-là: «La caisse de tomates contient toujours quelques tomates pourries. Et si nous voulons préserver la caisse, il suffit de jeter ces tomates pourries»...