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24 octobre 2012 3 24 /10 /octobre /2012 23:25

L'Expression dévoile en exclusivité à ses lecteurs les bonnes feuilles des Mémoires du défunt président Chadli Bendjedid. L'ancien président de la République relate des événements auxquels il a pris part ou dont il a été le témoin direct. Le témoignage traite des relations avec le Maroc à travers l'épisode de la guerre des sables mais aussi de ses relations avec le responsable de l'appareil du parti FLN, Kaïd Ahmed, et d'autres responsables comme Saïd Abid, Tahar Zbiri et Houari Boumediene. Des chapitres sont également consacrés au coup d'Etat de 1965, au Gpra et à l'état-major de l'armée. De nombreux épisodes de la guerre de Libération et de l'Algérie indépendante sont contenus dans le livre. Le premier volume, qui couvre la période allant de 1929 à 1979, «foisonne» d'autres informations sur des événements clés de l'histoire du pays. La publication des Mémoires de Chadli interviendra à quelques jours de la célébration de l'anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale. L'ouvrage sera donc en vente dans les librairies le 26octobre.


La Maladie de Boumediene
...Durant les derniers jours de sa vie, il me rendait visite au siège de la 2e Région militaire, à Oran, lorsqu'il se sentait déprimé...
...Peu avant sa mort, Boumediene réfléchissait sérieusement à des changements radicaux dans la politique agricole, l'industrialisation et les nationalisations. Il m'a même confié, plusieurs fois, qu'il avait regretté ces choix. Il tenait absolument à convoquer un congrès du parti pour évaluer les aspects politiques intérieurs en vue d'en identifier les lacunes et envisager de nouvelles alternatives...
...Boumediene aimait à se confier à moi et me parlait de choses intimes, bien qu'il ne fût pas habitué à parler de sa vie privée, des lourdes responsabilités qui l'accablaient et de la traîtrise des hommes. Je lui ai dit, une fois, que beaucoup de ses proches collaborateurs feignaient la loyauté envers lui et le poignardaient dès qu'il avait le dos tourné. J'ajoutai: «Ces gens-là profitent des bienfaits et crachent dans la soupe». Quand je lui demandai pourquoi il ne se séparait pas d'eux, il me répondit: «Si je faisais ça, les gens diraient que Boumediene s'est débarrassé de ses compagnons comme on jette un chiffon». De fait, Boumediene ne se précipitait jamais dans sa prise de décision lorsqu'il s'agissait de remplacer quelque responsable dans son entourage immédiat. Le plus important changement qu'il ait eu à entreprendre eut lieu en 1977. Le Président voulait mettre fin à des lobbies qui commençaient à se constituer. Il releva Ahmed Benchérif du commandement de la Gendarmerie nationale et le nomma à la fonction civile de ministre de l'Hydraulique et de l'Environnement. Il en fit de même pour Ahmed Draïa, le directeur général de la Sûreté nationale, qu'il nomma aux Transports. Ce jour-là fut le plus beau de sa vie.
Boumediene n'hésitait pas à me parler de sa vie privée avec une franchise déconcertante. J'essayai toujours de le convaincre de se marier en lui disant: «La Révolution est terminée maintenant. Il est temps que tu accomplisses l'autre moitié du devoir religieux [en te mariant]!» Il me répondait: «Dans ce cas, je te laisse le soin de me chercher une épouse!» Je le pris au mot et me mis à chercher parmi les familles honorables une femme qui eût pu épouser le Président. Mais je me suis très vite ravisé, convaincu que le mariage devait être fondé sur le libre choix. Un jour, il me dit, blasé: «Si Chadli, si le choix était un âne, je l'aurais mis devant moi et bastonné à mort!» Je ne sais pas, à ce jour, s'il voulait parler de quelque échec dans sa vie personnelle ou de décisions qu'il aurait regretté d'avoir prises.
La fatigue se lisait sur son visage. Il souffrait mais ne se plaignait pas. Il supportait son mal en silence et avec courage.
Il avait mauvaise mine, mais je ne savais pas qu'il était malade; je croyais que c'était dû au surmenage. Il me parlait de la force morale de Georges Pompidou et de sa maladie qu'il avait cachée à l'opinion publique. Je me souviens encore de ce qu'il m'avait dit ce jour-là comme si c'était hier:
«J'admire la patience de Pompidou». J'étais loin de me douter que lui-même était souffrant. Le destin a voulu que les deux hommes meurent de la même maladie de Waldenstriim, une hémopathie maligne rare...
...A son retour de Damas où il avait pris part au sommet du Front de la résistance et de la fermeté, Boumediene se montrait de moins en moins en public. Les rumeurs les plus folles commençaient à circuler. Certains disaient qu'il s'était éclipsé pour réfléchir à tête reposée à des changements majeurs qu'il allait opérer bientôt, d'autres parlaient de divergences profondes au sein du Conseil de la Révolution qui l'auraient contrarié au point de se retirer de la vie publique, d'autres encore privilégiaient la thèse du coup d'Etat voire de l'assassinat. Il en était toujours ainsi quand le président n'apparaissait pas à la télévision.
Décision fut prise de le transférer à Moscou. Il préféra l'URSS aux Etats-Unis et à la France pour des impératifs de sécurité. Je suivais l'évolution de sa maladie au jour le jour...
...De retour au pays, il reçut les membres du Conseil de la Révolution et du gouvernement à la villa Dar El Nakhil. Ce n'était plus le Boumediene que je connaissais; il avait considérablement maigri. Ses yeux n'avaient plus le même éclat.
Il n'avait plus d'entrain, au point de ne plus pouvoir parler. Ses pieds étaient enflés. Quand je lui serrai la main, il ne me lâcha pas, comme s'il voulait me dire quelque chose, mais en aparté. Je compris par la suite qu'il voulait m'informer qu'il m'avait chargé de la coordination des corps de sécurité. Dès que j'appris cela, je me rappelai tout de suite ce qu'il ne cessait pas de me dire auparavant: «Chadli, veille sur le pays et la Révolution!» C'est que les personnes à qui il avait confié la mission de m'en informer n'avaient pas appliqué la volonté du Président, et ce, avec la complicité d'autres membres du Conseil de la Révolution.
Mais, devant le péril menaçant, ces mêmes personnes furent obligées de se plier à ses ordres. J'appris la décision de ma nomination à ce poste par la voix du secrétaire général du ministère de la Défense, Abdelhamid Latrèche. Boumediene mourut le 27 décembre 1978.

La tentative de coup d'Etat de Tahar Zbiri
...La tentative de putsch menée par Tahar Zbiri en décembre 1967 fut la plus grande scission au sein du Conseil de la Révolution après les démissions d'Ali Mahsas, Bachir Bournaza et Ali Mendjli. Quand je me remémore cet épisode, je m'étonne toujours des propos de Zbiri qui déclare tantôt: «Si ce n'était pas Chadli, j'aurais pris le pouvoir», tantôt: «Chadli se serait [de toute façon] placé du côté du vainqueur» Pourtant, la vérité est tout autre. J'étais au fait de désaccords entre le président Boumediene et le chef d'état-major. Mais j'étais loin d'imaginer que Tahar Zbiri allait en arriver à l'usage de la force pour accaparer le pouvoir. En réalité, ces désaccords concernaient aussi certains membres du Conseil de la révolution qui reprochaient, ouvertement ou en secret, à Boumédiène d'accaparer le pouvoir avec le groupe d'Oudjda et de confier à des DAF des postes sensibles du ministère de la Défense. Le conflit s'aggrava après le refus de Zbiri d'assister aux festivités du 1er novembre 1966 et du fait des fréquents déplacements qu'il effectuait entre l'état-major et le bataillon de blindés stationné à Bordj el Bahri. Déplacements que Boumédiène suivait de très près. Le conflit atteignit son apogée suite à l'échec des médiations entreprises par des personnalités politiques et militaires. J'ai pris la pleine mesure du danger à Bouzaréah, au domicile de Abderrahmane Bensalem qui nous avait invités à déjeuner après la réunion du Conseil de la révolution et des commandants de régions.
Nous étions cinq: Saïd Abid, Abderrahmane Bensalem, le colonel Abbès,Yahiaoui et moi-même à prendre notre repas ensemble dans une ambiance fraternelle, discutant de divers problèmes qui nous préoccupaient à l'époque. Le soir, je devais rentrer à Oran par avion. Je ne m'étais pas rendu compte qu'un complot se tramait et que j'allais être impliqué à mon insu. Nous nous installâmes dans le salon pour prendre le café. Je remarquai que l'assistance était plus silencieuse que d'habitude. Aucun de mes interlocuteurs ne me mit au courant de ce qui se mijotait. Je les vis qui faisaient un clin d'oeil à Saïd Abid, connaissant la solide amitié qui nous liait et qu'ils voulaient, me semble-il, exploiter. Puis, ils lui firent signe de m'en parler en leur nom. Saïd Abid se leva et me dit sur un ton réprobateur mêlé de sollicitude dans lequel je perçus comme un appel à l'aide:
-Es-tu satisfait de cette situation, Si Chadli? Je veux dire la situation du pays. Tous ces problèmes ne t'affectent-ils pas?
- Quels problèmes? lui dis-je.
-Les problèmes dans lesquels se débat le pays, voyons! Tu trouves cette situation normale?
-Tous les pays [du monde] vivent des problèmes. Certes, il y en a beaucoup [chez nous], mais je pense sincèrement qu'ils peuvent être réglés par le dialogue et à travers les institutions en place, rétorquai-je.
-Nous avons essayé de les résoudre dans ce cadre, mais sans succès.
En clair, Saïd Abid voulait parler de l'accaparement du pouvoir par le clan d'Oujda et de l'obsolescence du Conseil de la Révolution qui avait perdu un grand nombre de ses membres. De plus, Boumediene avait pratiquement vidé l'état-major de ses prérogatives qu'il avait mises entre les mains des anciens officiers déserteurs de l'armée française, au ministère de la Défense. A ce moment-là, je compris qu'il y avait anguille sous roche: notre présence tous ensemble au domicile de Bensalem n'était pas innocente, surtout lorsque Saïd Abid revint à la charge:
-Nous sommes appelés à prendre une décision cruciale sur-le-champ.
C'était clair. Ils planifiaient le renversement de Boumediene. Je leur dis:
-Vous connaissez ma franchise. Alors, laissez-moi vous dire dès à présent, pour que vous ne disiez pas plus tard que je vous ai trahis: je m'opposerai à toute personne qui utiliserait la force et la violence pour prendre le pouvoir. Je connais Tahar Zbiri depuis 1956; je l'ai même connu avant Boumediene. Mettez-vous ça bien dans la tête: je me mettrai en travers du chemin de tous ceux qui recourront à la violence pour porter atteinte à la stabilité du pays. Ma position là-dessus est claire.
De guerre lasse, ils insistèrent pour que je les rejoigne. Quand je les quittai, je me rendis compte de la gravité de la situation...
...Je me rendis chez Tahar Zbiri, à El-Biar, et lui dis:
- J'étais avec les compagnons et ils m'ont informé de leurs intentions. J'ai voulu que tu saches ce que je pense de tout ça. Il est plus que probable qu'ils viennent te voir et te refilent de fausses informations sur ma position.
Je lui répétai ce que j'avais dit auparavant et lui expliquai mon point de vue en lui disant que c'est à l'intérieur du Conseil de la Révolution que les problèmes devaient être débattus et tranchés:..
... Je me rendis en toute urgence à la présidence de la République et demandai à voir le président Houari Boumediene. Quand il me reçut, je lui dis:
- Je suis venu te saluer et te souhaiter plein succès dans ta mission. Je retourne aujourd'hui à Oran. Sache que ta position sera la mienne et que tu me trouveras toujours à tes côtés.
Je me contentai de ces quelques mots et ne lui divulguai pas le secret de ma rencontre avec Zbiri et les autres compagnons. Boumediene ne dit mot et sourit, signe que les services de renseignements l'avaient informé du complot. Il paraissait serein...
...Après l'échec de la tentative de coup d'Etat, Tahar Zbiri et quelques-uns de ses hommes (ils étaient tous de la même région, ce qui confirme l'aspect régionaliste et tribal de cette opération avortée), se sauvèrent. Il se peut que les services de sécurité leur aient assuré un passage sécurisé jusqu'aux frontières tunisiennes, avant de rejoindre le Maroc. Kasdi Merbah vint me voir pour me demander de lui remettre les officiers de la 2e Région qui étaient solidaires de Zbiri, ce que je refusai. Quand il s'en plaignit à Boumediene, celui-ci le pria de ne pas insister, en lui disant: Chadli est responsable de ses actes».
En 1979, Tahar Zbiri me fit part, par le truchement d'un émissaire, de son souhait de rentrer au pays. Je lui demandai de patienter un peu, le temps pour moi d'étudier l'affaire. Un jour, un de mes collaborateurs à la présidence de la République m'informa que Zbiri était à l'aéroport. Je l'autorisai à rentrer et à rester chez lui. En outre, je lui imposai de s'éloigner de la vie politique.

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Published by MoDemTunisien.over-blog.com - dans Articles de Presse